Un rôle central en Méditerranée

Napoléon disait : « La géographie dicte la politique d'un pays ». C'est particulièrement vrai du Maroc qui, en arabe, se dit Maghreb, le « couchant», l' «occident». Les historiens musulmans du Moyen Age appelaient le Nord de l'Afrique, au delà de l'Egypte, « Geziret el Maghreb», « l'île du couchant », et, aujourd'hui pour éviter de confondre le Maroc avec cet ensemble on utilise pour désigner ce dernier les expressions « Maghreb arabe » ou « Grand Maghreb ».Par sa position géographique et son enracinement dans l'histoire, le Royaume occupe une place particulière au nord-ouest du continent africain. Protégé par ses montagnes et ses deux façades atlantique et méditerranéenne il a, tout au long de l'histoire, généralement bien conservé son indépendance. Rappelons quelques jalons qui éclairent les relations complexes que le Maroc a toujours entretenues avec les riverains de la Méditerranée. Avant l'avènement de l'islam, au VII siècle, il a su préserver son identité amazigh ou berbère face aux conquérants venus par la mer : Phéniciens, Romains, Byzantins...Arrivés, eux, par les hauts plateaux, les Arabes ont durablement marqué, de sorte qu'au fil du temps un équilibre s'est établi entre les deux communautés. Il convient néanmoins de rappeler que c'est un Berbère islamisé, Tarik Ben Ziyad, qui, en 711, a franchi le détroit de Gibraltar (déformation de Jebel Tarik, la montagne de Tarik) et que les Ahmoravides (1050-1147) et les Almohades (1147-1269), deux grandes dynasties berbères, ont joué un rôle majeur en Espagne et plus particulièrement en Andalousie. Après la chute de Grenade (1492), Portugais et Espagnols ont fait plusieurs incursions en territoire marocain mais leur implantation ne sera pas durable sauf dans les présides de Ceuta (1640) et de Melilla (1497), où Madrid exerce toujours sa souveraineté. En outre, les Marocains sont très fiers de rappeler qu'ils ont opposé une vive résistance aux Ottomans et les ont empêché de conquérir le Royaume. On ne peut ignorer non plus la perception que les Marocains ont d'eux-mêmes : ils se sentent arabo-berbères, africains, musulmans (ils conservent aussi la plus forte communauté juive au sein du monde arabe) tout autant que méditerranéens, et n'oublient pas que leurs ancêtres ont vécu sept siècles en Espagne. Ils savent également que Madrid, Marseille, Paris et me sont plus près de Rabat que Damas, Bagdad et Riyàd. Dès lors, au regard de l'histoire, que pèsent le demi-siècle de protectorat français (1912-1956) et les quelque soixante-quinze ans de présence espagnole dans le Rio de Oro et la Saguiet el Hamra, le Sahara espagnol ?
La longue bataille des frontières héritées de la colonisation
la fois peu et beaucoup. Peu, car les structures traditionnelles demeurent fortement ancrées et que le Souverain jouit toujours de sa double légitimité religieuse et historique (la dynastie alaouite gouverne depuis 1654). Beaucoup, parce que le pays a subi, en quelques années, le choc de la modernisation, d'une part, et que, d'autre part, le trône a dû mener, pour la réunification du territoire, un combat qui n'est pas totalement achevé. En effet, succédant à Moulay Youssef qui régna de 1912 à 1927, Mohamed V (1927-1961) est appelé le « Libérateur » pour avoir permis au pays de recouvrer son indépendance. Il estimait néanmoins que l'empire chérifien avait été tronçonné et qu'il n'avait pas accompli entièrement sa mission. A sa mort, l'Espagne refusait de renoncer aux présides au nord et si, au sud, elle avait rétrocédé Tarfaya (1958) et Ifni (1960), elle occupait toujours le Sahara occidental. Quant à la France, elle s'était certes retirée du Maroc central mais elle se voyait reprocher d'avoir donné l'indépendance à la Mauritanie (1958-1960) et d'avoir, jadis, «arrondi» ses départements d'Algérie au détriment du Royaume. En montant sur le trône, Hassan II a naturellement pour ambition de devenir « l'Unificateur » ou le « Rassembleur des terres et des hommes ». C'est la raison pour laquelle Rabat a émis des réserves lorsque l'Organisation de l'Unité Africaine a recommandé, à sa création, en 1963, le respect de « l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation » afin d'éviter à l'Afrique d'être plongée dans une multitude de conflits. Les dirigeants marocains font observer que si le Maroc n'avait eu, au début du siècle, qu'un seul colonisateur, de Tanger au fleuve Sénégal, le problème de la Mauritanie et du Sahara occidental ne se serait pas posé ou n'aurait pas été posé dans les mêmes termes. artant de ces données, le jeu du Maroc en Méditerranée s'est organisé en fonction de plusieurs cercles : celui des voisins immédiats (Algérie, France, Espagne), celui des « frères » maghrébins (Mauritanie, Algérie, Tunisie, Libye), celui des « cousins » du Machrek confrontés à l'Etat d'Israël depuis 1948, celui des partenaires européens, enfin celui des Etats-Unis. Très vite, Hassan II passe maître dans l'art d'utiliser les interférences entre ces différents cercles et dans celui de nouer ou de renverser les alliances selon les intérêts de son pays. Dans tous les cas de figure, à se réserve d'avoir au moins deux fers au feu. Le Maroc et la Tunisie ont eu de grandes dynasties qui, en dépit de périodes de troubles et de révoltes, ont établi un pouvoir central fort. Cela n'a pas été le cas de l'Algérie ; Houari Boumediene qui l'a dirigée de 1965 à sa mort, en 1978, a manifestement voulu prendre une revanche sur 1'Histoire en en faisant l'Etat le plus puissant du Maghreb. Il s'était montré intransigeant sur la question des frontières et avait fait sèchement observer aux voisins qui réclamaient des rectifications, même mineures, que les Algériens avaient « payé le prix du sang » pour les défendre.
Un jeu d'alliances subtil et parfois conflictuel
De son côté, Hassan II, en refusant de reconnaître Nouakchott, adressait des messages à Alger et surtout à Madrid pour rappeler ses revendications concernant le Sahara espagnol - à ses yeux marocain - et les présides. Toutefois, pour éviter de mener de front deux combats, le Souverain, non sans habileté et malgré les pressions de l'opposition, avait laissé entendre que le problème de Ceuta et de Melilla pourrait être réglé quand Madrid aurait trouvé avec Londres une solution concernant sa revendication sur Gibraltar. De la « guerre des sables » (1963) avec l'Algérie, au conflit du Sahara occidental commencé en 1975 et qui n'est pas définitivement clos puisque le référendum d'autodétermination prévu par l'ONU n'a toujours pas eu lieu, le premier souci de Hassan II a été de renforcer le Maroc face à ses voisins, à commencer par l'Algérie. Le second a été de consolider le trône afin de résister aux tentatives de coups d'Etat et, en tout cas, aux pressions exercées, directement ou non, par les régimes militaires - républicains, nationalistes et socialisants - qui s'étaient multipliés dans le monde arabe à la suite du renversement de la monarchie, en Egypte en 1952, par les « officiers libres » de Gamal Abdel Nasser.Pour faire front, le roi prend appui, dans un jeu subtil et parfois conflictuel, sur l'ancienne puissance protectrice. Dans les périodes de mésentente ou de « froid », il se tourne vers les Etats-Unis qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, apprécient la position stratégique du Maroc et n'oublient pas les bases militaires dont ils ont un temps disposé. Il a recours aussi aux « soeurs latines », à la fois alliées et rivales de la France, sans oublier la CEE. Dans le même temps, i1 structure les relations privilégiées qu'il a nouées avec ses pairs - émirs, sultans, rois, y compris le chah d'Iran qu'il a accueilli après sa chute, en 1979 - des riches pétro-monarchies du Golfe arabo-persique. Réaliste, conscient des rapports de force au Maghreb et en Méditerranée, le monarque se réconcilie, en janvier 1969, avec Boumediene qu'il reçoit au Maroc. Cette même année, à la suite de l'incendie provoqué à la mosquée AI Aqsa, à Jérusalem, par un fanatique sioniste, le premier « Sommet islamique » se réunit à Rabat, fin septembre (en mai 1970, la rencontre s'institutionnalise sous le nom d'Organisation de la Conférence Islamique OCI - dont le siège est à jeddah) et Hassan II profite de l'occasion pour reconnaître la Mauritanie et son président Mokhtar Ould Daddah. En 1970, il renonce à revendiquer Tindouf et Béchar mais demande en échange à l'Algérie de le soutenir, face à Madrid, dans l'affaire du Sahara occidental. Après quelques hésitations, l'Algérie prendra le parti du Front Polisario . Dans cette épreuve de force le Maroc n'hésitera pas, en 1984, à conclure avec la Libye un « mariage contre nature » en signant le traité d'Union arabo-africaine le colonel Kadhafi le dénoncera, en 1986, à la suite d'une visite de Shimon Pérès, Premier ministre d'Israël, au Maroc.En outre, dans le conflit saharien, le Royaume s'est assuré la neutralité de la Ligue arabe et le soutien de l'OCI, Hassan II ayant été à plusieurs reprises le président en exercice des deux organisations. L’Union du Maghreb Arabe, initiative marocaine, apaise la région. Pour ce qui est du Maghreb, le Maroc a participé à plusieurs initiatives susceptibles de conforter ses choix concernant le libéralisme économique et le multipartisme. Ainsi, en 1964, il a été un des fondateurs du Comité Permanent Consultatif Maghrébin dont le siège était à Tunis. L’objectif du CPCM était de permettre à ses membres (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye) de peser d'un plus grand poids face à leur premier partenaire économique, la CEE. Le CPCM, qui fonctionnait au niveau ministériel, s'était fixé trois missions:
- développer les échanges horizontaux par l'harmonisation des politiques douanières ;
- harmoniser les politiques des pays membres dans les domaines de l'industrie, des mines, de l'énergie, des transports, des télécommunications;
- coordonner les positions des différents pays à l'égard de la CEE.
Or, en mai 1975, lors de la dernière réunion du CPCM, auquel le conflit du Sahara occidental a porté un coup fatal, aucun de ces objectifs n'avait été atteint. Il faudra attendre 1988 pour que se réunisse à Zéralda, près d'Alger, le premier sommet maghrébin de l'histoire.
Entre-temps, le roi avait tenu, de façon spectaculaire et inattendue, à rappeler la vocation européenne de son pays : en juillet 1987, il avait adressé une demande officielle d'adhésion à la CEE. Fin juriste, il ne pouvait pas ignorer que la réponse serait négative puisque seuls les Etats européens Pouvaient en devenir membres. Néanmoins, il voulait tout à la fois adresser un signal fort et attirer l'attention sur les réalités et les paradoxes de la Méditerranée occidentale (le Maroc est à 13 km de l'Espagne) et de la Méditerranée orientale puisque la Turquie, elle, est européenne. A la même époque, le Roi et le président algérien, Chadli Bendjedid, avaient reconnu qu'en l'absence d'un axe Alger-Rabat, il n'y aurait pas d'unité maghrébine. Le rétablissement des relations diplomatiques (rompues en 1976) entre les deux capitales avait alors permis la rencontre de Zeralda (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie) qui avait préparé la naissance de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) à Marrakech, le 17 février 1989. Peu après, le 2 Forum méditerranéen (le premier s'était tenu à Marseihe en février 1988) avait réuni à Tanger (23-27 mai) des intellectuels, des diplomates, des industriels, des Syndicalistes des cinq pays de l'UMA et des quatre « soeurs latines » (Portugal, Espagne, France, Italie). Fonctionnant comme une « boîte à idées » destinée à aiguillonner la coopération, le Forum avait souhaité la mise en route d'un processus diplomatique, ce qui fut fait au niveau des hauts fonctionnaires puis des ministres (octobre 1990). Dans une déclaration, les neuf Pays s'étaient alors engagés < à contribuer à la transformation de la Méditerranée en une zone de paix et de coopération ». Ce fut la concertation 5+4 » puis des « 5+5 » après l’adhésion de Malte, en 1991. La CEE qui avait conclu, dans les années 1970, des accords de coopération bilatérale avec les trois pays du Maghreb central avait encouragé la création de l'UMA en espérant que celle-ci donnerait une impulsion aux échanges inter-maghrébins et Sud-Sud de façon à rendre plus compétitive la Méditerranée en tant que région. Plusieurs facteurs régionaux et internationaux n'ont cependant pas tardé à affecter le fonctionnement de l'UMA et à faire mettre en veilleuse, au début de 1992, les « 5 + 5 ».
Sans les efforts du Roi, Camp David n'aurait peut-être jamais eu lieu
Retenons principalement la dégradation de la situation en Algérie, les difficultés rencontrées dans l'organisation du référendum d'autodétermination au Sahara occidental, les tensions avec la Libye qui inciteront le Conseil de sécurité de l'ONU à lui imposer un embargo aérien. Notons aussi que les Etats-Unis, qui avaient déjà contribué à torpiller le dialogue euro-arabe (entamé en 1973, lors du premier choc pétrolier), n'ont jamais été favorables à une concertation entre riverains de la Méditerranée quand ils n'y étaient pas associés ; mais on a constaté aussi que lorsqu'ils l'étaient, ils avaient tendance à imposer leur hégémonie. Réagissant à ces blocages, le Maroc n'est pas resté inactif. A la fin de la guerre du Golfe (1991), Rabat a proposé la convocation d'une Conférence générale sur la sécurité en Méditerranée. Il l'a fait aussi parce que l'idée lancée en juin 1990, à Alger, par les non-alignés méditerranéens de créer une Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Méditerranée et au Moyen-Orient (CSCM) à l'instar de la CSCE, s'était heurtée à des obstacles : la France ne souhaitait pas inviter les Etats-Unis et ces derniers craignaient une interférence des Européens dans le processus de paix israélo-arabe. L’Egypte a alors proposé d'accueillir un Forum pour le dialogue et la coopération en Méditerranée, appelé aussi Forum méditerranéen; il s'est finalement mis en place en 1994 et Rabat y participe. En fait, Hassan II a toujours tenu à être présent, d'une façon ou d'une autre, sur les différentes scènes du Mare nostrum. Il a, de même, toujours joué un rôle dans les conflits du Proche-Orient. A titre d'exemple, pendant la guerre d'octobre (1973) un contingent d'élite marocain s'est battu héroïquement aux côtés des Syriens. Pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), le Roi a efficacement contribué à établir un axe Rabat-Le Caire-Amman-Bagdad pour lutter contre le régime de Khomeiny Autre exemple : président du Comité al Qods (Jérusalem en arabe), à n'a jamais ménagé son soutien aux Palestiniens. C'est d'ailleurs le Sommet arabe de Rabat (28-31 octobre 1974) qui avait consacré l'OLP « unique représentant légitime du peuple palestinien », quelques jours avant que Yasser Arafat ne s'adresse pour la première fois à l'Assemblée générale de l'ONU. Parce qu'il n'a jamais manqué à la solidarité arabe - même quand à est en désaccord avec un chef d'Etat ou un dirigeant - le monarque a pu, secrètement d'abord, discrètement ensuite, ouvertement enfin entretenir des contacts avec un certain nombre de dirigeants israéliens, dont Moshe Dayan et Shimon Pérès. L’importance de la communauté marocaine installée dans l'Etat hébreu et les dizaines de milliers de juifs demeurés au Maroc lui ont évidemment facilité la tâche; encore fallait-il vouloir l'assumer et la mener à bien! Ainsi a-t-il organisé des rencontres israélo-égyptiennes qui ont psychologiquement et concrètement préparé le « voyage historique » du Président Sadate à Jérusalem (1977). Ce geste, éminemment politique, a permis la conclusion des Accords de Camp David (1978) qui, à leur tour, ont facilité la signature du premier traité de paix (1979) entre Israël et un pays arabe. Les Etats-Unis et l'Europe avaient applaudi mais l'Egypte avait été suspendue de la Ligue arabe.
La coopération avec l'Europe reste un objectif essentiel du Royaume
C'est le Maroc qui, en 1987, a obtenu sa réintégration dans l'OCI, première étape avant son retour au sein de la Ligue à l'occasion du Sommet arabe de Casablanca, en 1989. Le Maroc a également apporté une importante contribution dans la mise en oeuvre du processus de paix israélo-arabe qui a commencé à Madrid, fin 91, sous le double patronage de Washington et de Moscou, l'Union européenne n'ayant eu droit qu'à un strapontin. Puis, à la stuite des Accords d'Oslo (août 1993), il a été, avec la Tunisie, parmi les premiers pays arabes qui ont établi des rapports et des échanges avec Israël en attendant de nouer de véritables relations diplomatiques, relations que la politique de Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud et actuel Premier ministre, ne facilite pas. Dans la même logique, le Maroc a pris l'initiative d'accueillir le 30 octobre et le 1 novembre 1994 le premier « Sommet Economique du MoyenOrient et de l'Afrique du Nord », la plus grande conférence du genre dans l'histoire de la région. Y ont participé: 61 Etats, une vingtaine d'institutions financières internationales, quelque 900 sociétés internationales et 1114 hommes d'affaires et industriels (dont 150 israéliens). A l'ouverture, Hassan II avait déclaré : «Toutes les portes du monde arabe ont été ouvertes et pas seulement celles du Maroc. Nous sommes prêts à nous engager comme partenaires égaux ».Conduisant une délégation de neuf ministres (la moitié du cabinet), Itzhak Rabin avait répondu: « C'est une nouvelle page. C'est la première fois que des Arabes et des Israéliens sont si nombreux dans une rencontre. Ils commencent à se connaître pour travailler ensemble ». Il est intéressant de noter que l'idée de la rencontre avait germé, en cet 1992, au cours d'une série de visites au Caire de personnalités américaines et israéliennes. Les préparatifs s'étaient accélérés à partir de septembre 1993, une fois signés les accords de paix israélo-jordaniens. Le choix de Casablanca s'était imposé au cours des concertations en raison de l'action passée de Hassan II et de sa disponibilité. Depuis, deux autres conférences du même genre se sont tenues à Amman (octobre 1995) et au Caire récemment. Malgré les déceptions engendrées par la politique israélienne, le processus continue donc. Dans la partie complexe qui se joue en Méditerranée avec de multiples acteurs aux intérêts souvent contradictoires, la coopération avec l'Europe demeure pour le Maroc - par delà les querelles et les incidents de parcours un objectif prioritaire et fondamental. Parmi ces incidents, on ne peut ignorer, car il illustre bien notre propos, la question du recadrage et du rééquilibrage de l'accord de pêche qui hait le Royaume à l'Union européenne depuis 1992. Dès le printemps 1995, Rabat avait demandé sa révision et la négociation de conditions plus avantageuses. Finalement, après bien des péripéties, le contentieux a été apuré à l'automne. Le nouvel accord sur la pêche et l'accord d'association ont été paraphés à Bruxelles les 13 et 15 novembre 1995, quelques jours avant la Conférence euro-méditerranéenne des 27 et 28. Là encore, le Maroc s'est montré particulièrement dynamique dans la préparation de cette rencontre couronnée par la Déclaration de Barcelone considérée comme l'acte fondateur de la Méditerranée du XXI siècle. Contrairement aux précédentes tentatives (dialogue euro-arabe, « 5 +5 », Forum méditerranéen, etc.), cette conférence a réuni les Quinze et l'ensemble des Pays tiers méditerranéens (à trois exceptions près, l'Albanie, la Libye et l'ex-Yougoslavie); en outre, elle ne propose pas seulement une concertation mais aussi un vrai projet fondé sur le partenariat. Elle entend créer en Méditerranée un espace de paix et de stabilité et fixe comme objectif l'instauration, d'ici à 2010, d'une zone de libre-échange économique. Une des innovations de la Déclaration - étrangement ignorée par les médias - consiste à avoir consacré son troisième volet à la dimension culturelle et au rôle de la société civile"'. L’accord d'association de même que le processus euro-méditerranéen imposent à l'économie marocaine un vaste et vigoureux plan d'ajustement et de restructuration. Le Maroc devra aussi pratiquer une ferme politique d'assainissement (Art. 61 et 62 de l'accord d'association) notamment dans les domaines de la lutte contre la drogue, la contrebande et le blanchiment de l'argent. Il devra enfin poursuivre plus résolument les efforts engagés pour la démocratisation et le respect des droits de l'homme.
Le Projet géostratégique du Gazoduc Maghreb - Europe
La meilleure illustration de la volonté du Maroc (mais aussi de la Tunisie et à bien des égards de l'Algérie) de s'intégrer de façon structurelle et géostratégique dans le projet euro-méditerranéen est le Gazoduc Maghreb -Europe (GME). Commencé en 1989, après la naissance de l'UMA, le tronçon Hassi R'Mel (Algérie) -Cordoue via le Maroc et la Méditerranée (1400 km) a été inauguré en novembre 1996 et l'on peut regretter que les médias n'aient pas accordé plus d'attention à cette ambitieuse réalisation. D'une capacité de 10 milliards de mètres cubes, le gazoduc devrait alimenter 7 millions de foyers espagnols et quelque 700 000 entreprises. L’investissement a atteint 2441 millions de dollars (675 pour le tronçon algérien, 880 pour les tronçons marocain et sous-marin, 546 et 340 respectivement pour les tronçons espagnol et portugais). Les tronçons CordoueCampo Maior, à la frontière portugaise, et Campo Maior - Tùy, à la frontière avec la Galice (760 km) devraient entrer en fonction au milieu de 1997. Leur prolongation vers l'Allemagne via la France a été envisagée par les concepteurs. Rappelons que le GME fait pendant au gazoduc Transmed (Hassi R'Mel-Tunisie-Italie) qui avait été inauguré en 1981 et dont la capacité a été doublée en 1995. Il est significatif qu'en 1995, à Barcelone, Tunis et Rabat aient posé leur candidature pour accueillir la 2 Conférence euro-méditerranéenne.Beau joueur, le Maroc s'est désisté récemment en faveur de la Tunisie dont la vocation méditerranéenne est aussi évidente. Toutefois, les dirigeants syriens ont fait savoir qu'ils ne voulaient pas se retrouver aux côtés des Israéliens sur une terre arabe. C'est donc à Malte que « Barcelone 2 », comme on dit, devait se tenir les 15 et 16 avril et être précédée d'une Conférence civile euro-med. Les Marocains devaient en profiter pour évoquer un autre grand projet qui leur tient à coeur: la liaison fixe (un tunnel plutôt qu'un pont) entre l'Afrique et l'Europe par le détroit de Gibraltar programmée, à condition de réunir les fonds, à l'horizon 2015.
Paul Balta
Ecrivain, Directeur du Centre d'Etudes de l'Orient contemporain