Le Sahara occidental, comme beaucoup de pays africains modernes, n'a pas d'antécédents historiques. Il n'y avait pas de nation sahraouie à l'époque pré-coloniale, et le nationalisme sahraoui qui se fait jour actuellement est un phénomène très récent, ses origines datant seulement de la fin de l'époque coloniale espagnole.
Mais si l'Armée de libération avait réussi à chasser les Espagnols du Sahara occidental à la fin des années 1950, le territoire aurait été incorporé au Maroc et, sans doute, le nationalisme sahraoui ne se serait pas manifesté en tant que force politique, tout comme le nationalisme touareg n'est jamais devenu un facteur politique important dans le sud de l'Algérie.
En fait, l'aile sahraouie de l'Armée de libération fut écrasée en 1958. La décennie suivante ne fut témoin d'aucune tentative sérieuse de résistance contre les autorités espagnoles, de la part des Sahraouis. Cependant, de profonds changements se produisirent durant cette période au sein de la colonie espagnole, sur les plans économique, social et politique.
Ces changements, qui s'accompagnèrent d'une importante évolution sur la scène politique à l'échelon régional ou international, firent que lorsqu'un mouvement anticolonial commença à s'ébaucher à la fin des années 1960, son caractère politique était résolument différent de celui des unités sahraouies de l'Armée de libération.
A la fin des années 1950, non seulement la présence coloniale était très récente mais elle n'avait que faiblement marqué la société sahraouie. Durant cette période, le Sahara occidental n'avait représenté qu'un intérêt économique limité pour l'Espagne, son développement avait été lent et aucune des "villes" espagnoles n'avait vraiment dépassé la taille d'un village.
Dans ce nouvel environnement urbain, des Sahraouis issus de tribus ou de castes différentes allaient à l'école, travaillaient et vivaient côte à côte ; et par rapport aux Espagnols, qui étaient maintenant les ahel mdafa, les "hommes du fusil" incontestés, ils partageaient tous le statut humiliant de znaga.
De plus, une suite de changements politiques introduits par le gouvernement espagnol à partir de 1958 eut tendance à renforcer l'impression que le territoire était en train de devenir une entité politique conséquente. A la suite de l'instauration du statut de province et de l'arrivée d'un gouverneur général avec résidence permanente en 1958, il y eut les élections pour le Cabildo Provincial en 1963 et ensuite la création de la Djemaa en 1967. Même si la Djema n'était pas élue démocratiquement et n'avait aucun pouvoir législatif réel, son existence et ses débats sur des questions économiques et sociales concernant le territoire tendirent à renforcer le sentiment naissant chez les Sahraouis d'une identité territoriale allant au-delà de l'identité tribale.
L'un des plus grands paradoxes du problème du Sahara occidental est que ce fut en partie parce que les gouvernements marocain et mauritanien et les partis d'opposition marocains n'avaient pas réussi à affirmer leur revendications sur le Sahara occidental avec une réelle vigueur, que, dix ans après le démantèlement de l'Armée de libération, les Sahraouis anticolonialistes commencèrent à s'organiser indépendamment et à se tourner aussi loin que vers l'Algérie et la Libye pour obtenir un soutien extérieur.
Cette autonomie contribua à façonner le caractère nationaliste sahraoui propre au mouvement anticolonial qui réapparut vers la fin des années 1960.
En outre, en renonçant aux prétentions marocaines sur la Mauritanie et en reconnaissant l'indépendance de celle-ci en 1969, le roi Hassan établit un précédent qui n'échappa pas aux Sahraouis. Si la Mauritanie pouvait enfin obtenir la reconnaissance de la part du Maroc de son droit à devenir une nation, pourquoi les Sahraouis ne pourraient-ils l'obtenir eux aussi ?