CHAPITRE 4L'indépendance et ses conséquences pour le Sahara

L'Armée de Libération

Ce furent l'accession du Maroc à l'indépendance en mars-avril 1956 et les appels à l'insurrection lancés par les commandants de la Jaïch at-Tahrir (Armée de libération) dans le Sud marocain qui incitèrent les Sahraouis à se soulever pour la première fois depuis la pacification de 1934.

Le Front de Libération National (F.L.N.) algérien avait entamé également une lutte armée en 1954 ; aussi, pour éviter de combattre sur deux fronts, le gouvernement français avait-il décidé de tenter d'arriver à un compromis avec Mohammed V, qui était ramené de Madagascar le 31 octobre et autorisé, après des pourparlers en France, à faire un retour triomphal au Maroc, le 16 novembre. Mais au lieu de déposer les armes après cette première victoire, l'Armée de libération avait accru sa pression sur la France, alors même que se poursuivaient les négociations entre le gouvernement français et le sultan.

La France ayant renoncé à son protectorat, le gouvernement espagnol, qui dans les années 1950, avait réagi à la montée du nationalisme marocain avec beaucoup moins de véhémence que les autorités françaises, n'avait guère d'autre alternative que d'en faire autant.

Le sultan entama des pourparlers à Madrid avec Franco, et le 7 avril 1956, le gouvernement espagnol reconnaissait l'entière souveraineté du Maroc et s'engageait à "respecter l'unité territoriale de l'empire que garantissent les traités internationaux ". De nombreuses unités furent placées à Ifni, au Sahara ou aux Canaries. De plus, bien que Ifni n'eût guère de valeur sur le plan économique, le général Franco savait depuis plusieurs années déjà que le sous-sol du Sahara occidental recélait d'importantes richesses minérales. En 1950, lors d'une visite à El-Aïoun, il avait rencontré le géologue Manuel Alia Medina, qui avait découvert des phosphates dans le territoire, à la fin des années 1940 ; et en 1952, la Direcciôn General de Marruecos y Colonias avait créé un service des minerais, le Servicio Minero, lequel avait confié d'autres missions de recherches sur les phosphates à l'Adato de Investigaciones Mineras, organisme rattaché à l'I.N.I. (Institut National de l'Industrie).

Cependant, la nouvelle du succès de la lutte pour l'indépendance au Maroc arriva bien vite dans le désert. Les nomades du Sahara occidental et des régions avoisinantes se rendaient fréquemment à Goulimine ou sur d'autres marchés du Noun et du Bani : c'est là qu'ils apprirent que le mouvement de guérilla contrôlait une grande partie de la campagne marocaine.

De plus, de nombreux leaders partisans furent déçus par les compromis que le roi Mohammed V fit avec la France après l'Indépendance. "Quelques-uns commencent à se demander si notre révolution n'a pas échoué après la déclaration de l'indépendance, notait en août 1956 l'instance suprême de l'Armée de libération et du mouvement de résistance urbaine, le Conseil National de la Résistance.


Les victoires que nous avons obtenues jusqu'à présent ne sont des victoires que dans la mesure où elles ont pour effet de libérer la souveraineté marocaine dans le domaine de la diplomatie et de la justice. Quant à la situation intérieure, les transformations espérées ne se sont pas réalisées, pas plus que n'est apparu aucun changement digne d'être noté". En particulier, le fait que le roi Mohammed V eut consenti à ce que plusieurs milliers de soldats français restent stationnés au Maroc, alors que la France était en guerre avec le F.L.N. en Algérie, en avait jeté plus d'un dans la consternation.

En réalité, aux yeux de nombreux chefs de la guérilla, la lutte du Maroc pour son indépendance s'inscrivait dans une lutte pan-maghrébine et pan-arabe de plus grande envergure. En juillet 1955, un comité de coordination des armées de libération du Maghreb avait été mis en place, et après l'indépendance du Maroc, quelques groupes de l'Armée de libération marocaine avaient commencé à participer à la livraison clandestine d'armes au F.L.N.



Les révoltes en Ifni et au Sahara

Un petit groupe d'environ vingt-cinq sahraouis, parmi lesquels un jeune Reguibi nommé Abba el-Cheikh, rejoignit l'Armée de libération dans le Sud marocain en 1956 et fut ensuite envoyé dans le désert pour inciter les nomades à la révolte. Leur argument était que si l'on avait réussi à forcer la France et l'Espagne à accorder au Maroc l'indépendance, a fortiori, on pourrait certainement les chasser du Sahara qu'elles n'avaient assujetti que vingt ans auparavant.

De nombreux Sahraouis furent convaincus qu'ils pourraient regagner leurs libertés d'antan en revenant à leurs traditions guerrières, et ainsi, plusieurs djemaas, notamment celles des tribus zekna et des Reguibat, résolurent de suivre l'exemple de l'Armée de libération. Ils commencèrent par former des unités de guérilleros composées exclusivement de Sahraouis qui, bien qu'utilisant certains armements modernes fournis par l'Armée de libération, calquèrent leurs tactiques sur les techniques du ghazi qu'ils pratiquaient jadis.

Les Français avaient l'impression d'être revenus au temps des razzias d'avant 1934, époque à laquelle les rebelles hostiles à la présence française trouvaient aussi refuge sur le territoire espagnol.

Pendant ce temps, l'Armée de libération avait commencé à attaquer au Sahara occidental. Le 29 novembre, des guérilleros arrivèrent au phare du Cap Bojador qui n'était pratiquement pas défendu, capturèrent les 7 Espagnols qui s'y trouvaient et sabotèrent le phare, le mettant hors d'usage pour plusieurs jours.

Le 3 décembre, le ministère des Armées annonçait à Madrid que les guérilleros avaient attaqué un convoi espagnol à Arbaa el Mesti, près d'El-Aïoun. Il y eut un autre affrontement à 20 kilomètres d'El. Aïoun le 22 décembre, et, le 3 janvier 1958, l'Armée de libération attaqua les positions espagnoles à Argoub situé face à Villa Cisneros, de l'autre côté de la baie du Rio de Oro.